Alors que le tribunal de première instance de Bruxelles a récemment rendu une ordonnance de référé enjoignant l’Etat belge à trouver une assise juridique solide aux différentes restrictions aux droits fondamentaux liées à la gestion de la crise sanitaire, le Conseil d’Etat a rendu son avis sur l’avant-projet de loi relative aux mesures de police administrative lors d’une situation épidémique .
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat formule certaines observations en matière de répartition et d’articulation des compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées. Le Conseil d’Etat est d’avis que l’autorité fédérale est compétente pour instaurer l’ensemble des mesures prévues par l’avant-projet de loi en vertu du large spectre de compétences dont elle jouit en matière de police sanitaire, civile et de sécurité civile.
Néanmoins, en raison de l’incidence que de telles mesures peuvent avoir sur les compétences des entités fédérées, le Conseil d’Etat conditionne l’exercice de ces compétences par l’autorité fédérale au respect de trois conditions cumulatives :
– le respect du principe de proportionnalité/loyauté fédérale ;
– une consultation préalable, en urgence, des autorités à qui ces prérogatives auraient dû revenir en totalité ou en partie ;
– une limitation aux matières pouvant s’inscrire dans les compétences fédérales de police sanitaire, de protection civile ou de sécurité civile.
Le Conseil d’Etat souligne que dans le cadre d’une crise ayant des répercussions sur la santé publique, les entités fédérées ont la possibilité d’adopter des mesures d’endiguement dans l’exercice de leurs compétences, indépendamment de toute décision contraire de l’autorité fédérale.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat se montre nuancé au sujet des pouvoirs du Ministre de l’intérieur.
Après avoir rappelé que le pouvoir réglementaire fédéral appartient au Roi (c’est-à-dire, en pratique, au gouvernement dans son ensemble), le Conseil d’Etat indique que ce pouvoir peut être confié à un ministre, pour autant qu’il s’agisse d’une délégation d’ordre accessoire (uniquement pour les modalités pratiques).
Néanmoins, le Conseil d’Etat admet que ce principe est parfois dépassé et difficilement compatible avec une situation d’urgence.
Dès lors, le Conseil d’Etat admet qu’une délégation de pouvoirs au Ministre de l’Intérieur en matière de police administrative est permise, pour autant qu’il existe « des motifs objectifs qui requièrent une intervention urgente du pouvoir exécutif ».
En outre, le Conseil d’Etat insiste sur le fait que la délégation de pouvoirs au Ministre de l’Intérieur nécessite que l’urgence soit clairement établie, l’urgence étant entendue comme toute situation où il serait impossible de prendre un arrêté royal malgré les évolutions numériques propres au 21ème siècle.
Les restrictions aux droits et libertés ne peuvent être prises qu’en situation d’urgence épidémique « dont l’existence doit être confirmée par le législateur et lorsqu’il existe des données scientifiques justifiant les mesures ».
La confirmation a posteriori, par le Parlement, des mesures de police administratives prises en urgence n’est pas considérée nécessaire par le Conseil d’Etat, même s’il reconnait que cela permettrait d’en augmenter la légitimité démocratique.
En conclusion, l’avis du Conseil d’Etat invite à ne pas faire de la crise sanitaire une crise de l’Etat de droit.