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Les Plus de Justine

Grâce à Justine, nous communiquons quatre fois par an aux membres et aux amis de l’ASM, des analyses de l’évolution du monde judiciaire, des comptes-rendus de nos activités, des opinions – parfois un brin impertinentes – ainsi que des brèves.

Ce que nous n’avons pas eu la place de publier dans la trentaine de pages de magazine, vous le retrouverez ici. Si vous-même souhaitez soumettre des textes à publier, vous êtes invités à le faire à l’adresse asm@asm-be.be.

Les plus de Justine n° 56

Brèves : augmentation des seuils d’accès à l’aide juridique ; assurances et peines de mort ; gestion de crises ; adieu à Me Gisèle Halimi

Les plus de Justine 57

Le combat pour l’Etat de droit en Pologne

Par Yavuz Aydin[1]

Par son arrêt de principe du 19 novembre 2019 (C-585/18, C-624/18, C-625-18), la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que le nouveau Conseil national polonais du judiciaire («  National Council of the Judiciary  », ou «  KRS  » en polonais) et la Chambre disciplinaire de la Cour suprême de ce pays ne satisfont pas à l’exigence d’indépendance envers les pouvoirs législatifs et exécutifs selon le droit de l’Union.

Alors que les juges polonais et la Cour de Justice s’attendaient à certaines actions positives de la Pologne pour se conformer à cette décision, le parlement polonais a au contraire réagi à cet arrêt par une loi visant à museler les juges, qualifiée très vite par ses opposants de «  Muzzle Act  », entrée en vigueur le 14 février 2020.  Cette loi accroit la politisation des poursuites pénales contre les juges.  Elle prévoit en effet, pour les juges sujets à des poursuites disciplinaires, des peines de suspension, perte de salaire et même détention temporaire. Ces mesures sont de surcroit décidées par la Chambre disciplinaire de la Cour suprême, soit précisément l’organe dont la CJUE a décidé qu’il n’était pas un tribunal indépendant. Il est évident que le but de cette loi est d’empêcher les juges polonais de questionner la légalité et la compatibilité de la réforme judiciaire avec le droit européen. 

Peu de temps après l’entrée en vigueur de cette loi, la CJUE a, par décision du 8 avril 2020 (C791/19R), ordonné à la Pologne, par voie de mesures provisoires, de mettre un terme aux activités de la Chambre disciplinaire. Nonobstant cette décision, cette Chambre continue à connaître de multiples procédures disciplinaires dirigées contre les juges qui sont les plus actifs dans la défense de l’Etat de droit.  En 2020, les juges Waldemar Żurek, Beata Morawiec, Igor Tuleya et Irena Majcher ont été formellement accusés d’infractions pénales en raison de leur activité juridictionnelle.  En octobre 2020, l’immunité du juge Morawiec a été levée et elle a été simultanément suspendue de ses activités juridictionnelles, son salaire étant également suspendu. En novembre, le juge Igor Tuleya a été suspendu de ses fonctions, son immunité a été levée et son salaire a été réduit de 25 %. A l’heure actuelle, plus de 80 juges polonaise font l’objet de harcèlement sous la forme de poursuites disciplinaires pour des raisons politiques.

A l’issue du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, celui-ci a annoncé que le prochain plan financier et de relance serait soumis à une sorte de condition de respect de l’Etat de droit. C’est certes une avancée, mais insuffisante, n’apparaissant pas comme une réponse proportionnée au problème, notamment parce que cette mesure ne pourra pas être concrètement mise en œuvre avant les deux ou trois prochaines années, pour des raisons techniques.

Avec pour intention d’attirer l’attention du Conseil avant cette réunion, l’association des juges polonais IUSTITIA a pris l’initiative d’une lettre commune adressée à la Commission européenne.  Tous les juges au sein de l’Union européenne ont été invités à la signer, en signe de solidarité et pour faire entendre une voix commune des juges européens, appelant la Commission européenne à jouer son rôle de gardienne des Traités et à sauvegarder l’Etat de droit dans tous les pays de l’Union. Appeler au respect des décisions de la Cour de justice concernant l’indépendance de la justice était la principale demande relayée par cette lettre.

Faisant suite à la marche des 1.000 robes du 11 janvier 2020 à Varsovie, la lettre commune a constitué un second signe public important de la solidarité entre et parmi les juges européens. Cette solidarité n’a fait que croitre, et ce sont 5.231 juges de tous les pays de l’Union européenne, ainsi que des juges démis par les purges en Turquie, et des juges de Suisse, des Etats-Unis et de Serbie, qui ont apposé leur signature sur cette lettre.

La lettre, accompagnée de la liste de ses 5.231 juges signataires, a été remise à la Commission européenne le 22 décembre 2020 par une délégations composée symboliquement, de Yavuz Aydin, juge turc en exil et représentant de l’asbl Justice for Rule of Lax, Bruno Lietaert, représentant de M&M, et Caroline Verbruggen représentante de l’ASM.


[1] Juge turc victime des purges, en exil. L’auteur remercie Caroline Verbruggen pour la traduction en français de ce texte, rédigé à l’origine en anglais. 

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